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Les mains magiques

De bien longues années entre tes mains agiles
Tu tins couteau tranchant et alênes pointues,
Tu façonnas le cuir avec tes mains habiles
Pour créer des harnais aux nuances écrues.

Le beau cuir jaune n’a plus de secret pour toi
Tu le prends dans ta pince et le taille au couteau ;
Muni d’un fil poissé où l’alène fait loi,
Tu habilles de grâce nos amis les chevaux.

La magie de tes dons engendre la beauté
D’un fin licol souple, d’une bride légère,
D’une selle élégante animant la fierté
Du cavalier ailé qui effleure la terre.

Hélas les lourds tracteurs, pétaradants engins,
Ont remplacé aux champs nos nobles compagnons.
La mort dans l’âme, Louis, tu changeas de chemin
Et sellier-tapissier fut ton autre mission.

Tu as réalisé matelas et sommiers
A l’aide de ressorts et traverses de bois ;
Tu guidas, ajustas avant d’agrémenter
D’étoupe et doux coutil tes lits dignes d’un roi.

Mais tu excelles aussi dans l’art de parfaire
De douillets canapés, de somptueux fauteuils
Que l’on baptise Louis ou bien Voltaire
Dont le galbe gracieux est propre à ravir l’œil.


Le pont

Le pont enjambe la rivière
Qui caresse ses arches claires,
Les enlace amoureusement
De ses longs remous frémissants...

Le pont, étroit chemin de pierre,
Relie l'une à l'autre, les rives.

Rive droite, écoute la vie :
Village diffusant ses voix,
Et vague mouvante des toits
Ruisselant sur le val fleuri.

Au cœur du bocage serein,
"Mon amour, donne-moi la main".
L'arche de tes bras caressants
Est pour moi ce pont de Lumière
Vers lequel monte la prière
Que murmure mon corps fervent.

Avant de franchir ce pont blanc
Qui mène vers la rive sombre,
Celle du royaume des ombres,
Je voudrais que ta tendre étreinte
Apaise mes doutes, ma crainte
Du grand départ vers l'inconnu
Où tes doux yeux ne seront plus.

(La douceur du bocage – juin 1998)


Le vieux lavoir

Tout au fond du jardin qu'effleure la rivière,
A l'abri des regards, sommeille le lavoir ;
Jadis, on entendait taper les lourds battoirs
Quand le jour frémissant caressait la faîtière.

Las ! le treuil est rouillé, la planche vermoulue
N'accueille plus la neige du linge essoré ;
Plus de boîte, de brosse, de gros savon doré
Et les voix familières à jamais se sont tues.

Lentilles, nénuphars tapissent la surface.
Au sein de l'herbe rousse, accroupie sur la pierre,
La grenouille aux yeux d'or clignote des paupières.
Un grand lierre et la mousse envahissent la place.

Je te revois encor, ma vaillante laveuse
Lorsque dans l'eau glacée, tu plongeais tes deux bras,
Sur la planche inclinée tu étalais le drap,
L'étreignais avec force en tes mains vigoureuses.

Agenouillée, telle une servante en prière,
Tu battais, tu rinçais en inclinant ton corps
Vers le miroir changeant d'un ruisselant décor,
Et tu offrais aux tiens le linge de lumière.

(La douceur du bocage – juin 1998)


Planète malade

Ma planète est malade,
Ma planète se meurt
D'un grand mal qui la ronge
Insidieusement.

Terre, vue de l'espace
Tu es encore si belle,
Ma planète océane
Parée de bleu lumière !

Obstinée, tu poursuis
Ta ronde dans l'éther
Où filent les comètes...
Mais tu n'es plus la même,
Tes forces s'amenuisent :
Des êtres inconscients
Diffusent les poisons
Qui vont t'anéantir.
Ils déchirent, mutilent
Ta parure émeraude ;
De ta glèbe féconde,
On brûle les entrailles...

Où sont les sources claires, les rivières d'argent,
Les talus étoilés et les haies parfumées aux musiques ailées
De mon enfance heureuse ?
L'épaule du coteau que caresse le ciel
Et la vague des blés ondoyant sous la brise,
Le cristal moiré des océans profonds
Se voilent de grisaille.
L'air est empuanti.
Eaux glauques ravinant la terre moribonde
Plaies immondes, déserts de feu
D'où montent des sanglots et des cris de souffrance ;
L'homme cynique a pillé tes richesses.
Il n'y a plus de Dieux, il n'y a plus d'Amour ;
Tant de forces obscures précipitent ta perte !

Défiant l'apocalypse,
Sur la douce colline, un coquelicot flamme
Vacille au vent du soir.

(Entre Terre et Ciel : octobre 1999)


Promesse

Je vais donner la vie.
Dans un élan d'Amour,
Mon bébé a germé lors des feux de l'été.

Au creux de mon ventre bombé,
Il baigne en son cocon douillet.
Tout doucement, au fil des jours,
Son corps d'angelot se dessine.

Lié à ma source vivifiante,
Sa vie fragile s'épanouit.
Le plus souvent, il s'assoupit...
Est-il tombé en léthargie ?
Détrompez-vous !
Petit ludion facétieux,
Il m'interpelle à son réveil.
Quand je m'allonge et me détends,
Il bouge, me palpe avec ardeur
Affirmant son désir de vivre.
Il me parle, nous communiquons :
Alors que je masse mon ventre,
Il réagit à la caresse de ma main :
Je devine sa tête ronde
Et chatouille son pied menu.
Il réplique à sa manière
Par petits coups très volontaires.

Je lui fais écouter Mozart,
Respirer les lys du jardin
Admirer le ciel étoilé
Effleurer la beauté du monde...

Je l'ai vu vivre sur l'écran ;
J'ai contemplé, émerveillée,
Cette vie qui palpite en moi
Ce petit cœur qui bat, qui bat...délicieusement...

(Amours, Délices et Orgues – septembre 2000)


Jeu avec les vagues

La première déroula son assaut rageur
Sur la plage déserte de mon cœur,
La seconde, douce houle d'ouest
Au langoureux ruissellement,
M'enveloppe de sa caresse,
Me berce d'un murmure lénifiant.
La troisième, avide déferlante,
Mur émeraude à fleur d'azur,
A planté dans mes yeux son regard de naïade,
Offrant au soleil d'or, l'ambre d'un corps ardent :
Ses volutes marines m'ont emporté très loin,
Enivré de baisers, au goût de sel amer ;
Aveuglé par l'écume ivoire de ses flancs,
Prisonnier de son onde aux cheveux-laminaires,
J'ai roulé, aspiré par ce grand flot sauvage
Qui m'a laissé meurtri, épuisé sur le sable.

Quand, regardant le ciel, j'ai repris mes esprits,
A l'horizon marin tout sanglant d'outremer,
Le soleil se mourait en épousant la mer.
Le cœur brisé, j'ai vu s'éloigner pour toujours
La grande lame impétueuse de l'Amour.

(Les murmures du flot – octobre 2002)


Le veilleur de Pierre Longue

Mon vieil ami fidèle, pourquoi m'as-tu quitté ?
Frôlant la plage aimée,
Ton bateau orphelin oscille doucement
Dans le grand vent du soir où pleurent les gréements.
De ton humble retraite, surplombant l'océan
Qui grondait à tes pieds,
Tu veillais sur la crique.
Tard dans la nuit bleutée, la petite lumière de ta case marine
Palpitait doucement.
Un soir, elle s'est éteinte quand tu as mis le cap
Sur l'infini des cieux.
Tu étais un sourire, une voix chaleureuse
Quand tu tendais les bras vers tes amis marins ;
Et ton chaud regard bleu, brillant intensément,
Disait avec ferveur ta passion de la mer.
Car tu aimais la mer,
Comme on aime une femme mystérieuse et changeante.
Ton voilier effilé glissait sur l'océan ;
Au large tu hissais ton spi au ventre rose,
"Capella" s'envolait sur les flots d'émeraude
Et la brise chantait dans les fines rémiges
De ses ailes de toile.
Vers l'îlot, tu traquais le bar, fuseau d'argent,
La dorade irisée aux minces sourcils d'or.

Au revoir "Capitaine", fier marin solitaire
Toi qui aimais la mer, les fleurs et les poètes
Peut-être as-tu trouvé dans ce havre céleste
Un doux voilier berceur
Un voilier pour rêver ?

(Les murmures du flot – octobre 2002)


L'arbre qui pleure

Tout près de mon village, à l'orée des grands bois,
Le champ triste m'attend. Là, reposent les miens.
Très souvent, ils m'appellent ; j'entends leurs chères voix
Et vais me recueillir pour mendier leur soutien.

Au pied du mur ombreux où s'alignent les tombes,
Un chêne séculaire enserre de ses branches
Ceux qui dorment en paix sous la terre féconde.
Tendrement, ses rameaux vers les défunts se penchent.

Récemment, l'émondeur a taillé sa couronne ;
Et par les vives plaies de ses moignons meurtris,
Ce géant mutilé pleure en ce soir d'automne :
La sève de sa vie goutte à goutte s'enfuit.

A mes chagrins de femme, il a mêlé ses larmes ;
Ce bel arbre blessé, prince de ce domaine
Souffre en gémissant, ému par mes alarmes.
La Nature compatit aux souffrances humaines.

(Perseigne, les voix de ma forêt – octobre 2007)


Le chemin du calvaire

Hommage à Paul Étoc, mon père, résistant déporté mort à Neuengamme,
A tous les déportés disparus ou rescapés de l'enfer des camps.


Je suis allé à Neuengamme
Pour mettre mes pas dans les tiens ;
Je suis allé à Neuengamme
Pour chercher et trouver ta main.

A l’entrée du sinistre enfer
Cirque immonde où tu as souffert,
J’ai revu ton triste visage,
Ton bon regard plein de courage.

Abordant la place d’appel,
J’ai maudit tes bourreaux cruels ;
Là, presque nu et frissonnant,
Tu chancelais dans le grand vent.

Dans l’aube grise où le froid mord,
Tu commandes à ton pauvre corps
De suivre un chemin de calvaire,
En trébuchant dans les ornières.

Dans l’eau glacée, il faut piocher
Creuser le fossé, s’arc-bouter
Alors que hurle le Kapo,
Que la schlague laboure ton dos.

Après l’épuisante journée,
Tu reviens, l’échine courbée,
Progressant d’un pas incertain
Qu’englue la boue du noir chemin.

Exténué, tu retournes au block
Titubant, lamentable loque,
Pour manger ton maigre repas,
Retardant l’horrible trépas.

Dans ton écuelle un brouet clair
Où flotte une pomme de terre,
Le pain que lentement tu mâches
Pour survivre à la dure tâche.

Les nuits de douloureux sommeils
Les yeux grand ouverts tu veilles ;
Les poux voraces et la vermine
Ravagent ta maigre poitrine.

Mais toute force a ses limites ;
Le vif désir de vivre quitte
Un soir, ton âme désolée,
Et ta dépouille décharnée.

Hagard, gisant sur ton châlit
Tu cries : "Ma femme, mon petit !..."
Ton doux regard se voile d’encre,
S’évanouit ton âme si tendre.

Au pied du crématoire où ton corps est poussière,
J’ai déposé des fleurs et fait une prière ;
Alors j’ai entendu ta voix mourante et lasse
Dire en un long sanglot sur cette triste place :
"Mon fils n’oublie jamais ce crime abominable
Que le bourreau nazi inflige à ses semblables.
Je te tends le témoin, transmets notre pensée :
- Mon supplice est le prix de votre liberté -".

Pleurant, agenouillé, j’ai saisi le témoin
Et depuis ce soir-là, j’ai retrouvé ta main.

(Des sourires et des larmes – Octobre 1996)



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